Trois questions à… Vincent Valentin

Trois Questions

1. Peux-tu te présenter ?

   Suite à des études scientifiques, j’ai décroché un BTS en Informatique Industrielle (maintenant appelé IRIS). Je baignais donc dans l’automatisme, le développement C++, les réseaux informatiques, l’architecture matérielle, etc. Je l’avoue, je n’étais pas très motivé pour continuer de longues études, le marché du travail était ouvert : j’ai foncé vers la sortie.

   Arrivé totalement par hasard chez alapage.com (à l’époque c’était le groupe France-Télécom), me voilà « sur le tas » à mettre en pratique mon unique semaine de formation en HTML. Heureusement, quelques bidouilles à la maison complétaient un peu l’expérience. J’ai beaucoup appris pendant cette période : comment faire une bordure noire avec un tableau à 9 cellules (nous sommes en l’an 2000, oui, oui !) mais aussi et surtout les rythmes de productions, les rudiments du graphisme, les rouages du métier en somme.

   Je découvre bien des années plus tard cet article : « En quoi la mise en page par tableaux est-elle stupide » et c’est la révélation. Cela prend un peu de temps, mais je commence à intégrer la logique qui se cache derrière tout ce code que j’écrivais alors sans le comprendre. Je lis beaucoup, j’expérimente : un grand merci aux communautés qui évangélisent sur les standards, ce fut passionnant.

   Il me manque la possibilité de mettre tout ça en pratique : « et si je partais m’amuser dans une agence Web ? » Pour le coup, j’en ferai plusieurs (l’herbe semble toujours plus verte chez le voisin). C’est là aussi très enrichissant : les équipes sont jeunes et l’émulation est bien présente. Je progresse petit à petit, à force de partage et de contraintes fortes. Je me spécialise en tant que développeur Web client.

   Quatre ans plus tard je commence à avoir un peu de bouteille. J’en profite pour communiquer moi aussi comme je peux sur les standards (au travers de l’association Paris-Web et de mon blog notamment). J’essaie également d’être un peu plus en amont de la chaîne de production. Les choix techniques sont multiples, je m’efforce de trouver les solutions les plus souples possibles aux problématiques quotidiennes.

   Vous noterez que l’auto-formation a joué un rôle majeur dans mon cursus. Je pense que c’est avant tout une question de métier. Le petit monde du Web n’en est encore qu’à ses balbutiements : tout reste à découvrir et c’est aussi ça qui est excitant.

2. Comment un travail artisanal comme celui que tu décris s’inscrit-il dans la cadence de production industrielle exigée par les agences ?

   Difficilement, il faut bien l’avouer.

   Souvent, c’est la perception même du métier qui l’explique. En dehors de notre service, le développement front-office se résume trop souvent à de la mise en page. Or, c’est bien plus large que cela, le code HTML va pouvoir être interprété par des moteurs de recherches, par des lecteurs d’écrans, par des périphériques portables, des consoles... La mise en page n’est qu’un des ces aspects, mais c’est le plus visible.

   Et bien souvent je suis trop tributaire des contraintes imposées par le client. Assez bizarrement, et contrairement à bien d’autres métiers, le conseil et l’expertise que je peux (ou que l’équipe peut) apporter ne sont pas pris en compte. Au contraire même : on m’impose des spécifications techniques ou graphiques parfois irréalistes et en complet décalage avec le média.

   Tout cela sans compter que les problématiques d’accessibilité ou de performances (par exemple) ne sont pas considérées comme des parties intégrantes des projets, mais comme des fonctionnalités optionnelles. C’est problématique car le processus de création d’un site Web est plus global que cela. De ce fait, morceler le processus en fonctionnalités est contre-productif, et bien souvent dans la pratique je m’efforce de produire un site le plus accessible possible avec le temps qui m’est imparti.

   Les discussions et les mini-formations que le pôle propose permettent bien souvent de gommer ces problématiques, mais c’est un travail de longue haleine, d’autant plus que le turnover ne facilite pas les choses. Du fait de la place centrale jouée pour le développement Web client au sein du cycle de production, il est nécessaire d’intervenir à différents niveaux. C’est bien souvent pour cela nous sommes considérés comme les « râleurs » de l’open-space... À tort !

   Le rythme de production exigé est par contre tout à fait moteur selon moi. C’est très agréable de pouvoir enchaîner des projets divers et variés. Cela ne permet pas d’assurer un suivi sur le long terme malheureusement, mais c’est très formateur.

   Autre avantage non négligeable : le plaisir de travailler sur des projets aboutis graphiquement. C’est bien souvent dans un but commercial, mais qu’importe : c’est plus amusant que de construire des tableaux de données ou des formulaires administratifs.

3. Selon toi, la multitude de tâches qui incombent au développeur web client n’oblige-t-elle pas à survoler les problématiques là où il faudrait plutôt se spécialiser ?

   C’est pour cela qu’il faut acquérir quelques années d’expérience avant de se sentir vraiment à l’aise. Certaines tâches deviennent avec le temps des automatismes et on peut alors se concentrer sur des choses plus pointues.

   Il est essentiel de rester curieux. Le métier est vaste, touche de nombreuses problématiques : il est très difficile d’en maitriser tous les aspects immédiatement. On va donc se concentrer dans un premier temps à contrôler son rendu CSS, découvrir des propriétés d’affichage... Puis, viendra peut-être la volonté de produire un code HTML plus sémantique, tâcher de découvrir des jeux de balises plus adaptés. Plus tard les questions de l’accessibilité et de la visibilité apparaitront. Puis d’autres...

   Et c’est sans compter les nouvelles techniques qui apparaissent chaque jour. Les navigateurs évoluent, de nouveaux langages apparaissent, d’autres problématiques entrent en jeu. C’est très vivant et c’est d’autant plus captivant.

   En parallèle à l’auto-formation, le partage des connaissance joue un rôle également important. C’est l’essence même du média qui nous pousse peut-être à ne pas garder jalousement nos petites découvertes mais à les diffuser. Et puis c’est aussi en confrontant nos idées qu’on progresse : tout le monde en ressort gagnant. Et ainsi, petit à petit on se spécialise sur des problématiques précises.

   Enfin, c’est un métier relativement jeune : rares sont les confrères ayant plus de dix années d’expérience. Se pose alors la question de l’évolution. Je suis moi-même un technicien, très peu doué pour le management. Je ne souhaite donc pas changer radicalement de métier. Hormis les changements de cursus, s’offrent alors des postes d’experts consultants, de référents, ou de formateurs. Avec un peu de recul, on comprend peut-être mieux les enjeux et les moyens d’y parvenir.

   NB : Vincent est l’un des fondateurs de Trois Questions. À l’origine, les auto-interviews du staff (déjà bien anciennes) n’avaient pour autre but que de roder les procédures en conditions réelles et ne devaient pas être mises en ligne, pour des raisons évidentes de conflit d’intérêts. Finalement on les publie quand même parce que c’est intéressant, que le site est encore trop vide et que notre ego est surdimensionné…

Interview réalisée en décembre 2009.