Trois questions à… Bertrand Beauté

Trois Questions

1. Comment devient-on journaliste sur le web ?

   Le métier de journaliste ne nécessite pas de formation spécifique. En théorie, n’importe qui peut exercer cette profession, que ce soit pour le web ou le papier. En pratique, il existe de nombreuses écoles, reconnues ou non par la profession : personnellement, je suis diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille (ESJ). À mon époque (2004-2005), les cours portant sur le web étaient beaucoup trop rares, je ne sais pas si la situation a évolué depuis.

   Je suis devenu journaliste sur le web un peu par hasard, en tout cas pas par vocation.

   En sortant de l’école, j’ai débuté ma carrière dans des journaux papiers comme Sciences et Avenir ou Nord Éclair, en tant que pigiste (journaliste indépendant, ndlr.) ou via des contrats précaires (CDD). Puis j’ai été recruté par l’hebdomadaire L’Usine Nouvelle, afin d’étoffer la partie rédactionnelle du site Internet du périodique. Je suis donc devenu journaliste sur le web un peu par hasard, en tout cas pas par vocation. Cette première expérience fut contrastée. D’un côté, grâce à une petite équipe dynamique, nous avons refondé le site du journal en quelques mois, passant de quelque chose de très laid et peu pratique — c’est un euphémisme — à un site beaucoup plus agréable, mieux pensé et plus riche. De l’autre, l’équipe web du journal était à l’époque le parent pauvre de la rédaction : des jeunes journalistes et des stagiaires sous-estimés. Nous avions des idées et des envies pour développer le site, mais personne pour les écouter.

   J’ai fini par quitter L’Usine Nouvelle un peu déçu, j’aurais aimé faire davantage et mieux. Il n’en reste pas moins que cette première expérience m’a convaincu que le web-journalisme offrait un potentiel incroyable. J’ai d’ailleurs rejoint par la suite l’agence de presse suisse Largeur.com, à Genève, qui était à sa création en 1999 le premier magazine francophone uniquement en ligne.

2. Vois-tu arriver aujourd’hui sur le marché des personnels formés à la rédaction orientée web ?

   Il y a des démarches positives dans les écoles : l’ESJ, par exemple, a signé un partenariat avec le Bondy Blog et chaque promotion réalise désormais plusieurs sites web. Toutes les écoles de journalisme suivent cette tendance, elles ont pris conscience qu’il faut adapter leur cursus à la nouvelle donne que représente Internet.

   Malgré cette évolution, la plupart des journaux établis se contentent encore d’empiler sur leur site des dépêches d’agences et/ou des reprises de leur version papier, en y ajoutant quelques vidéos glanées sur YouTube. Les rédactions web demeurent trop souvent des open-spaces lugubres où des journalistes stagiaires et autres contrats précaires sont branchés sur le fil AFP. Objectif : réécrire et mettre en ligne plus vite que la concurrence. Résultat : tous les sites offrent les mêmes informations, écrites de la même manière et publiées au même moment.

   Le web représente à la fois une menace pour le papier, ainsi qu’une source de coûts non négligeables.

   Cette apathie est dictée par une raison : l’argent. Actuellement personne n’a trouvé le bon modèle économique pour le web-journalisme. Les sites payants peinent à fédérer leurs abonnés et les sites gratuits ne parviennent pas à s’autofinancer sur la publicité. Le web représente à la fois une menace pour le papier (érosion des ventes et diminution des recettes publicitaires), ainsi qu’une source de coûts non négligeables (les sites sont déficitaires et financés par le papier).

   Dans ce contexte, les éditeurs naviguent à vue, essayant d’être présents sur la toile sans prendre de risques économiques inconsidérés. Ils privilégient l’audience à la qualité, surfant sur les tendances (en ce moment les versions iPad, Twitter, Facebook, etc.) plutôt que sur le fond. La qualité des articles online, sauf exception, reste bien inférieure à ce que l’on trouve offline. Si l’on considère uniquement l’audience, la qualité n’est d’ailleurs plus primordiale. Les agrégateurs d’informations type Google News, qui apportent la majorité des lecteurs, priment les sites qui publient beaucoup, rapidement et avec des titres accrocheurs.

   A côté de ce travail de desk, les journalistes reconnus du papier sont incités à tenir des blogs. Mais il faut bien comprendre que ce travail se fait souvent un peu à la marge de leur activité principale qui reste le papier. Quelques pureplayers, c’est-à-dire des journaux uniquement présents sur le web, réussissent néanmoins à subsister, offrant des informations intéressantes du point de vue journalistique. Je pense à Mediapart, au regretté Bakchich ou à Arrêt sur images.

   Volontairement, je ne cite pas les médias dits « citoyens » et ce pour plusieurs raisons. D’abord, les personnes écrivant pour ce type de site ne sont généralement pas rémunérées, ce qui change le modèle économique — à ma connaissance, Rue89 par exemple, compte une dizaine de rédacteurs salariés, les autres contributeurs étant bénévoles. Ensuite, même si certains « médias citoyens » sont de qualité, leur nom est trompeur : il ne s’agit pas de « média », en ce sens que leur méthode de travail n’est pas « journalistique ». Le métier de journaliste implique un travail de recherche et des règles éthiques censées garantir une information fiable, vérifiée et de qualité.

   Ceci étant dit, les médias traditionnels devraient davantage s’inspirer de la forme des médias citoyens. Plus petits et plus souples économiquement, ils vont peut-être inventer le bon modèle, tant économique que graphique et stylistique.

3. Quel est selon toi l’impact de nouveaux canaux comme Facebook, Twitter ou la blogosphère sur le journalisme ?

   Les nouveaux canaux ont un impact énorme. L’affaire DSK a été révélée par le tweet d’un militant UMP. Lors des révolutions arabes, les journaux ont publié les tweets et autres réactions Facebook des insurgés. Dans un tout autre style, des web-enquêteurs mènent l’enquête dans l’affaire dite de la tuerie de Nantes. Néanmoins, je me méfie de ces nouvelles sources d’information pour plusieurs raisons.

   D’abord, je ne crois pas au « tous journalistes », qui ferait de chaque citoyen armé d’un smartphone un journaliste potentiel. Lors de l’affaire DSK, j’ai lu énormément de bêtises sur Twitter et Facebook, de personnes qui pensaient savoir ceci ou cela : parmi ces informations, il y a un tri et une vérification à faire. Ne se tenir informé que par ces canaux comporte un fort risque d’être induit en erreur.

   Ensuite, si ces nouveaux canaux sont devenus des sources privilégiées pour les journalistes, la méfiance doit rester de mise : les informations émises sur Internet émanent souvent de sources militantes ou commerciales, d’où un risque de manipulation des médias.

Interview réalisée en juin 2011.