Trois questions à… Adrien Leygues

Trois Questions

1. Comment es-tu tombé dans la marmite du web ?

   Cela fait une vingtaine d’années que j’utilise des ordinateurs et un peu plus de dix ans que je m’en sers professionnellement.

   J’ai découvert l’informatique encore enfant avec l’Atari STf de mon frère et j’ai tout de suite été fasciné. Je ne me suis d’ailleurs jamais posé de questions sur mon avenir : je ferai de l’informatique.

   Une rencontre au collège m’a donné l’occasion de découvrir la télématique. On parle ici de micro-serveur videotexte (ou minitel) qu’on faisait tourner à la maison sur des vieux PC… Je dois beaucoup à cette personne qui m’a ouvert à une voie technique pour les études : cela m’a permis plus tard d’entrer dans un IUT de Services et Réseaux de Communication pour y suivre le cursus classique des futurs chefs de projet.

   Le programme de l’époque étant assez léger et l’équipe pédagogique un peu dépassée, j’y forge ma culture informatique avant tout : réseau, programmation et design. C’est l’occasion aussi de coder ma première page en HTML, ça devait être du HTML 3.02 à l’époque. C’est également durant cette période que je découvre le milieu associatif et que je m’engage aux côtés de divers collectifs artistiques (comme la Sauce Dibim). Rien à voir encore avec Paris-Web, association que je co-fonderai des années plus tard : on n’avait pour l’heure pas d’expérience et surtout pas un sou. C’est fou ce qu’on peut faire avec deux bouts de ficelle et beaucoup d’huile de coude !

   Mes études à l’IUT terminées, j’avais envie de travailler mais le rythme scolaire me convenait bien. Du coup je me suis orienté vers un contrat de qualification en alternance au CESI, ce qui m’a permis de continuer à étudier tout en découvrant le monde de l’entreprise. J’ai commencé en tant qu’intégrateur à descendre du tableau HTML à la chaîne.

   La bulle « Internet 1.0 » ayant éclaté, j’ai décidé de m’accrocher et ai accepté une mission d’intégration pour faire la refonte d’EDF-Entreprises. Cela a été l’opportunité pour moi de découvrir les standards du Web et de les mettre en place. Et de rédiger du coup mes premières spécifications techniques afin de convaincre du gain apporté par leur utilisation.

   Ma boîte a ensuite été rachetée par Transiciel qui m’a permis de faire un peu de back-end (Java / PL-SQL) et de faire une mission de conseil technico-fonctionnelle pour un grand groupe pétrolier. Ce n’était pas une très bonne expérience et j’ai donc décidé de poser ma démission. Je me suis mis en quête d’un nouveau job avec le souhait d’évoluer vers la gestion de projet.

   Pour mon plus grand plaisir, j’ai atterri chez Digitas. Pas non plus par hasard : j’ai postulé chez eux parce qu’en 2006, c’était une des rares agences Web à afficher sur sa page d’accueil – valide W3C ! – des profils certifiés Accessiweb. J’occupe depuis 5 ans un poste de chef de projet technique front-end pour une grande marque de luxe au sein de l’agence et je suis depuis un peu moins d’un an responsable d’une petite équipe de développeurs front.

2. Depuis que tu fais ce métier, quelles sont les choses qui te motivent encore ? Quelles sont celles qui te frustrent ?

   J’aime bien l’angle d’approche de cette question, notamment le « encore ». Ça fait toujours bizarre de constater que l’on travaille depuis plus de dix ans et que bien que l’on soit encore jeune, on a déjà parcouru un bout de chemin.

   Il y a deux raisons pour lesquelles j’ai souhaité faire de la gestion de projet : premièrement parce que c’était le seul moyen de progresser dans ma carrière et deuxièmement parce que j’aime encadrer et faire évoluer des gens.

   Je n’ai absolument pas la prétention d’être un bon manager mais je fais au mieux pour que les développeurs et chefs de projet que j’encadre se sentent bien et progressent dans leur métier. Je crois que j’ai beaucoup de chance à ce niveau-là car les personnes avec lesquelles je collabore à la technique sont dévouées, passionnées et particulièrement compétentes. De manière générale, je travaille en étroite relation avec des chefs de projet fonctionnels afin d’établir les devis et plannings qui permettent de répondre au besoin des clients, le tout en prenant bien en compte les contraintes techniques.

   Nous intégrons une plateforme qui, fournie par un autre prestataire, nous permet de gérer des services eCommerce et événementiels : son principe est basé sur ce que l’on pourrait assimiler à un meta language XML codé dans la pages HTML, parsé ensuite par un interpréteur le retranscrivant en ASPX. Nous avons mis du temps à appréhender ce système de génération automatique qui ne fournissait ni un code conforme ni un code valide. Nous avons passé beaucoup de temps à triturer, tester et bidouiller les implémentations pour coller à nos exigences et arriver à nos fins. Il faut garder à l’esprit que cette plate-forme supporte plusieurs centaines de sites dans le monde entier et qu’il est par conséquent difficile de la faire évoluer rapidement à cause de sa grande inertie.

   Par ailleurs, la réactivité que doit fournir une agence interactive en terme de mise et place et de coûts associés ne nous permet pas systématiquement de passer le temps nécessaire à la fourniture d’un code strictement valide. À ce propos je pense sincèrement qu’il y a une réelle différence entre un site web idéal dans la théorie et celui que l’on construit dans la pratique... Chaque nouvelle réalisation possède des améliorations par rapport à la précédente : cela fait parti des aspects motivants, penser puis repenser pour s’améliorer et améliorer le service fourni.

   J’éprouve un certain plaisir aujourd’hui à constater le chemin que nous avons parcouru en équipe pour développer, il y a deux ans, un extranet valide et accessible. Aujourd’hui nous maîtrisons parfaitement notre plateforme et sortons du code « standards » : à la clé, des gains importants en terme de maintenabilité, d’interopérabilité (nous pouvons utiliser le même code xHTML pour afficher une interface CSS ou Flash), d’accessibilité et de performance.

3. Tu nous parles d’amélioration, de passion : penses-tu qu’à force d’évangélisation, les métiers du web soient arrivés à maturité ?

   J’ai toujours eu un peu de mal avec le terme « évangélisation » et l’ensemble du champ lexical auquel il se rapporte quand il est ramené à l’informatique. Même s’il n’est pas à prendre au premier degré, je préfère parler de « communication ».

   Ce qui m’a fait défaut lorsque que j’ai débuté dans ce domaine, c’est le manque d’informations accessibles et pertinentes sur le sujet. Personnellement ce n’est qu’avec l’apparition de sites comme Open Web ou Pompage que j’ai pu comprendre mon métier et commencer à réfléchir aux méthodes et outils adaptés à sa mise en œuvre. Il n’est en aucun cas ici question de croyance, et qualité ne rime pas avec extrémisme. Bien au contraire, faire correctement son métier demande de partager et d’être capable de se remettre en question régulièrement. Les outils et ressources sur lesquelles s’appuyer pour ce faire n’ont cessé de se développer : d’abord IRC, les forums, les listes de discussion, la messagerie instantanée, les conférences, les barcamps puis les flux RSS et plus récemment les réseaux sociaux comme Twitter.

   Le média « Internet » tel que nous le connaissons est jeune et il me semble naturel de penser que son potentiel maximum n’est pas atteint : on peut parler d’un média en évolution exponentielle. Il existe depuis une vingtaine d’années et bien qu’ayant connu une période de stagnation du côté des navigateurs, son évolution est aujourd’hui hallucinante.

   Pour autant, d’un point de vue qualitatif, l’état actuel du Web est déplorable. C’est un handicap de taille à l’accessibilité et l’interopérabilité des contenus, valeurs fondamentales défendues par les standards. Il y a notamment un enjeu fort autour de la mise à disposition d’outils de production web pour les amateurs... Je suis par exemple de près le développement de BlueGriffon (éditeur de pages HTML) : j’espère sincèrement qu’il pourra offrir à tous la possibilité de mettre en ligne des documents conformes aux standards.

   Dans le cadre professionnel, « l’évangélisation » n’est pas une tâche facile au quotidien car il faut du temps pour jongler entre la formation des nouveaux et les impératifs business. De fait, le métier que nous exerçons est à la fois passionnant de par son caractère évolutif et extrêmement ardu à concilier avec les contraintes de planning et de coûts. Il est difficile de coder très vite et très bien ! Mais en tant que professionnels, il me semble que nous avons une réelle mission d’amélioration de la qualité du Web.

   « L’évangélisation » passe aussi par les formateurs qui transmettent leur expérience et qui donnent l’envie et les moyens de mener correctement le développement des réalisations web : les formations arrivent à maturité en ce sens, et c’est une bonne chose. Des conférences comme Paris Web, qui donnent l’occasion d’échanger sur les problématiques quotidiennes, permettent également l’amélioration au sens large de la qualité.

   J’ai aussi le sentiment que le perfectionnement des navigateurs permet aux développeurs de s’épanouir davantage dans leur travail et d’emmener plus loin les créatifs dans les concepts qu’ils conçoivent pour les marques. Je crois très fortement que plus le média évolue, plus les développeurs se l’approprient et sont porteurs des technologies qui tirent l’expérience utilisateur vers le haut. Mais la frontière est mince entre la technique et le marketing car ce dernier reste essentiel pour financer des développements de pointe et novateurs. En clair, les idées peuvent venir de la technique mais il faut toujours des moyens financiers pour les mettre en place.

   Pour conclure, la communication pour faire reconnaître l’étendue des possibilités du média n’est pas une notion finie dans le temps mais bien un travail continu. Le Web n’aura atteint sa maturité que le jour où il sera complètement verrouillé par des organismes qui y voient un danger qu’ils ne peuvent contrôler. J’espère que ce jour est loin !

Interview réalisée en avril 2011.